- ANIMAL (LANGAGE)
- ANIMAL (LANGAGE)ANIMAL LANGAGEDoit-on appeler langage n’importe quel système de communication entre les êtres vivants? En dehors des pays anglo-saxons, en France notamment (à l’exception de A. A. Moles, R. G. Busnel, R. Chauvin, P. Bouissac, P. Gascar), on trouve de cette question une approche négative et strictement linguistique, dont l’unique paradigme est le langage humain tel que les langues naturelles le concrétisent. Cette approche, qui relègue les systèmes de communication animaux hors de sa sphère d’investigation, est conforme à la tradition cartésienne, reprise par Buffon («les animaux n’ont pas de langage parce qu’ils n’ont pas de système de pensée organisé»), par F. de Saussure et par R. Barthes, pour qui la linguistique ne fait pas partie de la sémiotique mais l’englobe. La spécificité du langage humain réside tant dans ses fonctions (notamment narrative) que dans sa structure (double articulation). Il existe encore une approche anthropologique (et anthropocentrique) de la question qui s’oriente, soit vers les mythologies (le temps primordial où «les bêtes parlaient», l’alliance avec le divin manifestée par l’initiation au langage des animaux, l’origine du langage humain considéré comme une technique non animale léguée par un dieu ou un héros), soit vers la physiologie et la psychologie comparée (Tran Duc Thao, Recherches sur l’origine du langage et de la conscience , Paris, 1973). On connaissait naguère, une seule approche «sémiotique» large, liée à une théorie générale des signes, naturels ou conventionnels, dont la source lointaine est l’Essai sur l’entendement humain de Locke (1690) et qui se prolonge dans l’étude darwinienne de l’expression des émotions chez l’homme et chez l’animal (1873) et dans le refus de C. S. Peirce et de C. W. Morris d’établir une distinction tranchée entre signes animaux et signes humains.Avec T. Sebeok enfin apparaît en 1963 le concept de zoosémiotique, au carrefour de la sémiotique et de l’éthologie; ce savant poursuit des recherches, en 1964, avec Approaches to Semiotics (La Haye), en 1969 avec Approaches to Animal Communication (La Haye); de ce genre de travaux, la revue internationale Semiotica donne des comptes rendus périodiques. Les principes qui guident la zoosémiotique sont les suivants, d’après W. John Smith: tous les animaux sont des êtres sociaux et chaque espèce a à résoudre un ensemble caractéristique de problèmes de communication; toutes les activités sont potentiellement informatives, étant dit informatif tout comportement dont l’occurrence modifie la probabilité des comportements dans le groupe social; quelques actes se produisent plus souvent ou sont plus complexes que ne l’exige leur seule fonctionnalité; enfin, quelques actes distincts n’ont pour toute fonction que de véhiculer l’information. Sebeok propose une version biologique du traditionnel circuit de la théorie de l’information en fonction de catégories telles que: entrée-sortie, source, destinataire, canal, code, message, contexte. Selon le canal utilisé, on distingue des systèmes différents.Dans la plupart des espèces animales, ce sont les systèmes chimiques qui fournissent le principal moyen de communication. Les signes chimiques sont des substances appelées phérormones, émises par la peau ou par des glandes spéciales, ou se confondant avec les excréments, et reçues par les chimio-récepteurs: odorat et goût. L’odeur émise par un animal continue d’être perçue lorsqu’il s’est éloigné; c’est pourquoi sa fonction est analogue à celle de l’écriture plutôt que de la parole; elle a une finalité d’intégration sociale (identification individuelle, marquage des territoires familiaux, alternance dans l’usage des territoires de chasse), notamment chez les mammifères terrestres. Parmi les signaux visuels, on distingue: les mouvements d’intention, états préparatoires et incomplets d’actes fonctionnels (par exemple, chez l’oiseau qui va s’envoler); les effets involontaires de l’humeur (poils hérissés, oreilles dressées ou rabattues); les mouvements de substitution qui paraissent sans rapport fonctionnel avec le contexte dans lequel ils sont exécutés (lissage des plumes avec le bec chez le pigeon au cours de la parade nuptiale). Le canal acoustique permet la réception à distance des signaux: avertissement, alarme, appel des jeunes, du partenaire sexuel, menace, signalisation de «frontière». On sait que les émissions à basse fréquence renseignent sur la position de la source, tandis que des émissions à haute fréquence la dissimulent. Les systèmes tactiles ont essentiellement une fonction de cohésion sociale (animaux en contact direct pour l’allaitement, la copulation, le jeu, l’épouillage mutuel).On peut noter, d’une part, que, selon la loi de sommation hétérogène, plusieurs canaux peuvent être utilisés pour transmettre de manière redondante le même message; d’autre part, que l’association entre les signaux et leur signification est souvent arbitraire et non iconique. Certains signaux sont polysémiques et changent de signification suivant le contexte (la danse des abeilles indique soit une source de nourriture, soit un gîte). Toutefois, en l’absence d’une théorie générale applicable à toutes les données de la communication animale, la zoosémantique consiste actuellement, dans une large mesure, en une collection hétérogène de propositions particulières. Enfin, il faut souligner que le développement récent de la zoosémiotique n’a été possible que grâce aux progrès de l’approche éthologique, qui s’attache aux comportements de communication en tant qu’ils font partie d’éthogrammes spécifiques et font intervenir, à la fois, des mouvements innés et des mouvements acquis. Le travail de pionnier a été accompli par K. von Frisch, dans l’étude du langage des abeilles. Un concept essentiel a été dégagé par J. Huxley, celui de ritualisation: ensemble de modifications évolutives subies par des mouvements d’abord liés à des fonctions courantes et ensuite adaptés en vue de la communication, notablement amplifiés, exagérés, «théâtralisés», répétés et enchaînés selon des séquences immuables rappelant les rituels et les cérémonies des cultures humaines. K. Lorenz note avec intérêt que ce concept est applicable aux «deux sphères de la biologie et de la culture». Ces recherches ont une influence en retour sur l’étude de la communication humaine, notamment de ses formes gestuelles ou olfactives, comme en témoigne l’ouvrage Non-Verbal Communication , de R. A. Hinde (Cambridge, 1972).
Encyclopédie Universelle. 2012.